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SECONDE RÉPONSE À PIERRE DE RONSARD


Seconde response de F. de la Baronie a messire Pierre de Ronsard Prestre Gentilhomme Vandomois, Evesque futur.

 

Si c'estoit d'aujourdhuy que la sotte ignorance
Commençast a vestir une sage apparence,
Et que le voile obscur de la Profanité
N'eust desrobé le nom d'une Divinité,
J'addoucirois mon style, & mon nouvel iambe
Ne seroit point bourreau d'un furieus Lycambe
Qui premier a osé se presenter au choq
Pour tenter la vertu d'un second Archiloq.

Seulement je voudrois oster la couverture
Qui couvre impudemment la menteuse imposture,
Et donner a cougnoistre aus simples, le moyen
De pouvoir discerner le mal d'avec le bien,
Le faus d'avec le vray, & de quelle impudence
On veut mesler l'accord avec la difference.

Mais puisque nous voyons que la Simplicité,
Qui ne laisse jamais les pas de Verité
N'est quasi recougnue, & que d'un faus-visage
L'Ambition cachee empesche le passage :
Sus sus, opposons nous, bien que leur grand troupeau
Surmonte en quantité nostre petit vaisseau :
La force ne gist pas au nombre de l'armee,
Souvent la grande trouppe a esté consumee
Par une plus petite, & tousjours la grandeur
Ne cache dedans soy un indontable cœur.

Voyla pourquoy, Ronsard, je suis si fier que j'ose
Me presenter a toy : je ne suis pas grand chose,
Mon corps est bien petit, mais un cœur genereus
N'a point accoustumé de se monstrer paoureus.
Penses-tu pour remplir un livre de bravade,
Pour dire que tu peus nous faire une Iliade,
Pour hausser ton sourcy, & enyvré d'orguel
T'asseurer qu'en la France on n'a pas ton pareil,
Nous estonner ? Ainsi le frere Laconique
Du chevalier Castor deffit le grand Amyque,
Amyque grand geant qui faisoit le bragard,
Et pensoit estonner Pollux de son regard.
Mais l'Escrimeur besson d'un grand coup deshonneste,
Visant droit sur le front luy ecraza la teste,
Tellement que du coup son ventre recourbé,
Sembloit a la couleur de son ceste plombé :
A la fin estendu sur le dos de l'arene
Fit rougir de son sang l'onde Bebryciene.

Ulysse vint a bout du Cyclope Ætnëan,
Comme de ce geant Pollux l'Amyclean.
Et n'estoit que je scay que ton cœur ne se fonde
Sur les exemples saints, j'ameneroys la fonde
Du berger Palæsthin, qui fut victorieus
Du geant qui pensoit le manger de ses yeus.

Ainsi la courageuse & forte petitesse,
Surmonte bien souvent la grandeur vanteresse.
Et pourtant je te prie, au nom de ton honneur,
Ne te vante point tant, ne sois point blasonneur
De la gloire d'autruy, ne desprise personne,
Ne prens point la louange avant qu'on te la donne.

Penses-tu estre seul en la France sçavant,
Pour forger de grands mots, & les enfler de vent,
Larges de demi-pieds ? nous hantons les escoles
Des aucteurs comme toy, pour sçavoir des paroles ;
Nous avons leu Pindare & la douce Sapphon,
Et l'obscur labyrinth du fascheus Lycophron,
Et mieus que toy, Ronsard, qui puises dans les gloses
De tes livres brouillez les vers que tu composes.
Nous sçavons bien comment tu entens les segrets
Des Poëtes Romains, & des Poëtes Grecs.
Penses-tu qu'on soit docte ensuivant ta manière ?
D'Aurat t'a expliqué quelques livres d'Homere,
Quelques hymnes d'Orphee, ou bien de Callimach,
Et pource incontinent tu fais de l'Antimach,
Tu enfles ton gosier, pensant estre en la France
Seul à qui Apollon a vendu sa science,
Ou que dés le berceau les abeilles du ciel,
Sur toy, comme à Pindare, ont distillé leur miel.
Rien ne t'est incognu, or' le mol Galliambe,
Or les traits tortueus du brave Dithyrambe
Te sortent de la bouche, & seul tu entreprens
Dessus l'antiquité, car hardi tu pretens
D'avancer sa louange, & comme le cyclique
Tu veus tonner plus haut le royaume Gallique.
Encor' si tu n'estois si fol que de tenter
Les affaires du ciel où tu ne peus monter,
Ou bien si tu n'estois si superbe, que d'estre
Ingrat de ce sçavoir emprunté de ton maistre.

Comme le povre enfant du pere ingenieus,
Le malheureus Icare, haussoit audacieus
Son vol inusité, or'es voyes cogneues
Seulement aus oyseaus, or' par-dessus les nues
A la fin son desir si fort le maistrisa
Que le plumage tombe, & le corps se brisa
Sur les marins rochers, Dedale se tourmente
De son vain artifice, & d'avoir pris la sente
Incogneue aus humains : il voudroit bien encor'
N'avoir bougé de Crete aupres du Minotaur.

Asseure toy qu'ainsi ta vaine experience
Te fera repentir de ton outrecuidance
Ne nous vante donc plus ton excellent sçavoir
En Grec & en Latin, laisse seulement voir
Tes papiers barbouillez, tes livres qui sont larges
Des annotations escrites dans les marges,
On verra bien alors que les labeurs d'autruy
Te font ainsi vanter, & que si aujourdhuy (100)
Quelqu'un te les ostoit, ta miserable plume
Lairroit doresnavant ses vers dessus l'enclume,
Tu n'escrirois plus rien, ou ce que tu ferois
Ne serviroit de rien que de farce aus François.

As-tu point jamais veu ces petites figures
Idoles d'animaus, dont les lineatures
De cordes font l'esprit, que les doctes Gregeois
Appellent Neurospaste ? artifice de bois,
Qui obeit du tout où la corde le meine,
Suivant les actions de la personne humaine ?
Ainsi tes livres Grecz où un autre a escrit
Te font mouvoir le corps & te donnent l'esprit.

Je ne veus pas nier que tu ne sois Poëte,
Je ne veus faire tort à ta grande trompete,
Tu es premierement Poëte estant menteur,
Tu es aussi Poëte estant si grand vanteur :
Pindare a esté tel en ses bruyantes notes,
Et tel on a cogneu l'aucteur des Argonautes
Tu es avare, aussi Simonide fut tel,
Dont toutefois le nom est encor' immortel,
Qui premier, comme toy, les Muses a reduites
A un vilain mestier les appelant Charites.
Tu es aussi gourmand, & gourmand fut Alcman,
Alcman le seul honneur du peuple Amyclean.

Tu es d'autre costé Poëte quand tu pinces
Les Princes & Seigneurs de nos belles provinces :
Alcee a fait ainsi envers Pittaque, & ceus
Pour lesquels il nomma ses vers seditieus.
Tu es un vray Athee, Athee fut Lucrece,
Horace l'a esté, & d'autres que la Grece
A beaucoup honorez : tu as encor ce bien
D'imiter la fureur du Colophonien.

Tu parles contre Dieu, ainsi fit Euripide,
Tu as le corps perclus, ainsi que Pherecyde,
Mais c'est d'un autre mal : Mais ce qui plus te fait
Outre les autres poincts Poëte tres parfait,
C'est qu'indifferemment tu aimes la jeunesse,
Tu aime autant Bathyl que la folle prestresse
La fille de Priam : & as pour compagnon
L'Orphee Œagrien, l'yvrongne Anacreon,
(Que le divin Platon osoit appeler Sage)
Et celuy qui jadis fut tué au rivage
De la mer solitaire, & qui vit sur le bord,
Les grues qui apres luy vangerent sa mort.

En telle Poësie un chacun te renomme
Excellent par sus tous, & n'y a pas un homme
Qui en cet art icy volontiers ne voudroit
Te confesser parfait, & te ceder son droit.

Non non, il n'y aura homme qui ne se taise,
Calvin te cedera, & tu veincras de Baize,
Aussi n'est-ce raison qu'un Poete soit veincu
En son propre mestier, où il a tant vescu.

Tu as beau deslier tes poudreuses courayes
Pour penser t'enyvrer de leur honnestes playes,
Ils ne te feront pas seulement cet honneur
Que fit à ce Geant le petit Escrimeur.

De Beze voirement, dont la vertu notoire
Par son propre ennemy fait confesser sa gloire,
Qui reluist entre nous comme au plus haut des cieus
La grandeur de la Lune entre les petis feus,
Que l'Esprit du Seigneur malgré toy accompagne,
Ne te fera l'honneur de descendre en campagne
Pour lutter contre toy, car la Divinité
Ne s'abaisse jamais à la Profanité.
Si n'est-il point couard, ce n'est point qu'il te craigne,
C'est plustost pour autant, Ronsard, qu'il te desdaigne,
Et qu'il estimeroit son labeur bien perdu,
De s'amuser à tondre un homme ja tondu.

Calvin encores moins, dont le sçavoir, la vie,
Qui reluisent par tout, surmontent toute envie,
Qui a comme un Soleil les tenebres chassé
Qui nous enveloppoyent si fort le temps passé,
Vray serviteur de Dieu, vray pasteur de l'Eglise,
Qui seul a fait trembler l'ignorante prestrise,
Chassant de son troupeau par maint & maint escrit
Vostre grand loup Papal le Romain Antechrist.

Non non n'espere pas que de tels adversaires
S'opposent au discours de tes povres miseres
Pour vouloir repurger ton esprit phantastic,
Villegagnon le Roy du Royaume Antartiq
N'a pas eu cest honneur, penses-tu qu'on te prise
Davantage que luy pour estre homme d'Eglise
Beant une Evesché ? si on mesprise un Roy
Veus-tu qu'un simple Prestre ait plus que luy de loy ?
Mille autres bons esprits qui sont dedans la France,
Qui ont esté nourris de leur douce science,
A peine voudront-ils prendre tant de labeur
Que de laver la teste à un sot blasonneur.

Si veux-je toutesfois pendant que ma jeunesse
Ne se laisse engourdir d'une lourde paresse,
Et comme le plus jeune, & comme le plus dous,
Sans te vouloir combatre, abbatre tes grans coups.

Je ne me vante point enflé d'outrecuidance
De surmonter ton fort par ma forte defense,
Nostre combat du tout ne sera si cruel,
Que pleust à Dieu, Ronsard, que pleust à Dieu que tel
Fust le combat des Rois, & qu'en lieu de la lance
La langue seulement eust battu nostre France.
Qu'au lieu du cruel jeu des armes du Guysard
On eust trompé le temps aus carmes de Ronsard. (200)

Or sus, Messire Pierre, appuy de ton Eglise,
Tu dis que tu voudrois avoir receu Prestrise,
Sois Prestre miserable, il ne tient pas à moy,
Qui ne suis envieus aus Prestre de ta loy
Mais si l'ancienne loy & la rigueur antique
Envers eus aujourdhuy fust encor en pratique,
Si pour se faire Prestre on deust estre chastré,
Tu ne voudrois avoir lors le chef empestré
D'une Evesché fascheuse, & devenu plus sage,
Tu n'irois pas changer l'honneur à un dommage :
Car ton dos à bon droict seroit lors empesché
Dessous la pesanteur d'une rude Evesché.

Encor' as-tu raison de vouloir plustost estre
Quelque riche Prelat que quelque povre Prestre,
La magnanimité de ton cœur genereus,
Que tu tiens de ta race, & ton esprit heureus
N'affecte point jamais les affaires petites :
Celuy qui a passé une fois les limites
D'impudence, doit estre impudent jusqu'au bout,
Et sot est le larron qui n'est larron du tout
Pour quelque grande somme, au moins son impudence
Luy peut bien profiter sans accroistre l'offense,
Car aussi bien pend-on les petis larronneaus,
Et bien souvent on voit eschapper les corbeaus
De l'inique censure, & plustost la cordelle
Offensera le col de quelque colombelle,
Et si d'autre costé les pechez & les maus,
Selon les Stoiciens, au monde sont egaus.

Voyla ce qui te fait desire d'estre Evesque,
C'est à dire Pasteur, aussi que tousjours presque
Ton Eclogue a chanté l'office des Bergers,
Et plus souvent encor' en remaschant tes vers
Tu avois de coustume à l'ombre des fougeres
Lisant le Theocrit d'accoller le bergeres.

Voyla le pasturage où tu veux t'amuser,
Ainsi d'un Evesché tu voudrois bien user
Qu'à bon droit tu attens, car je croy que le Pape
Pour te recompenser honnorera ta chappe
De telle dignité, afin d'estre cognu
Comme tu desirois, ayant le front cornu,
Et la crosse en la main en lieu d'une guiterre,
Et les gans pour signer les ondes & la terre.
Lors tu seras heureus n'estant plus appellé
Ores Messire Pierre, ores prestre pelé.

Toutesfois que tu fais d'un vice une louange,
Bravement ostiné, tu fais une meslange
De vice & de vertu : car pource tout expres
Tu reçois nostre blasme, accomodant apres
Nostre dire à ton sens, & n'ayant que la bave,
Tu penses neantmoins que lon t'estime brave
Pour nous respondre ainsi : mais tu es bien deceu
Si tu cuides cacher ce qu'on a desja sceu.
Qui est-ce qui ne sçait que Ronsard est un prestre ?
Il jure toutesfois qu'il le voudroit bien estre :
Pleust à Dieu, mon amy, que tu le fusses bien,
Tu l'es & ne l'es pas, car tu es anciem
Et jeune toutesfois, ancien quant à l'aage,
Mais jeune de l'esprit, inconstant & volage.

Prestrise non prestrise, ah que je suis fasché
Que dessous ton ordure un tel nom soit caché !
Et davantage encor' je me fasche qu'un Poete,
Pour profaner son art, ton estat se souhaite.

Ah maudis soit celuy qui premier l'inventa !
Ou bien en abusant qui premier la planta
Pour le destruire tout, dedans le chef du monde,
Tout le corps suit le chef, comme l'onde fait l'onde.

Comme l'épileptique à qui le chef troublé
Fait sentir jusqu'aus pieds son grand mal redoublé,
Tellement qu'il n'y a de ses membres partie
A qui sa grand' douleur le chef n'ait departie.

Ainsi depuis le temps que ce mal dangereus
Prit le chef pour rampart, les membres langoureus
Se sentirent du mal, mesme (le cœur du monde)
Nostre France a senti sa fureur vagabonde,
Qu'elle est contrainte encor' tous les jours de porter,
Ell'a beaucoup de fois tasché de l'avorter
Par exorcisements, par magique parole,
Mais ce mal estollé n'a cure de l'estolle.

Car l'Antechrist fut pere & Romme (le bordeau
Du corps & de l'esprit & leur commun bourreau)
Fut la mere, Ignorance en a esté nourrice,
Et puis Ambition qui maistrise justice
Luy apprit sa leçon : la Superstition
Fut tousjours sa compagne : Ah povre nation
Qui premiere la vit hors d'enfance ! dés l'heure
La Justice n'a fait icy bas sa demeure,
La Justice & la Paix nourrices des citez
Pour s'envoler aus cieus les hommes ont quittez.

Au contraire devant que ceste pute immonde
De ce monstre infernal se veist estre feconde,
Le monde estoit en paix, & la Justice encor'
Exerçoit icy bas les loix du siecle d'or.

Heureus siecle trois fois, durant lequel la terre
Ne cognoissoit encor' les effects de la guerre,
L'effroy d'une bataille, & le soldat du Rhin
N'avoit encor' ouy la voix du tabourin,
Et l'erain n'animoit encores nostre France
A cresper à cheval le long bois d'une lance.
Et les hommes n'osoyent encores imiter
A force de canons le feu de Jupiter : (300)
Et la Grece n'estoit encores estonnee
Par les chevaus trainants le char de Salmonee :
La salpestre & le plomb nous estoyent incognus,
Et le fer de l'Espagne & des Chalybes nuds,
Mesmes le fer du soc n'estoit point en usage,
Car la terre benine estoit sans labourage :
Il n'y avoir qu'accord entre les elements
(Où les discords n'estoyent rien que consentements)
Le ciel estoit encor' ignorant de la foudre,
Dont le Dieu tout-vivant peut mettre tout en poudre
Et l'effroyant esclair d'un signe perilleus
Ne menassoit le chef des rochers sourcilleus.

Les Princes ne craignoyent les cheveus des Cometes,
Personne n'accusoit le destin des Planetes
L'air estoit temperé, car tousjours un Printemps
Alloit accompagnant la bonté de ce temps.
Et ne communiquoit à la terre voisine
Les exhalations qu'il prend de la marine.

La terre heureuse estoit, qui sans commandement
Leur apportoit le fruict que nous allons semant,
Sans que le Moissonneur à la face bruslee
Ensemençast devant le terre travaillee.

Les vers & les fourmis ne mangeoyent point les blez.
Et par l'herbe les grains n'estoyent point estranglez :

La mer d'autre costé tousjours calme & benine
N'avoit comme aujourdhuy le sein plein de rapine.
Car les hommes n'estoyent encores apprentis
A battre le mestier de la rude Thetis.
On ne voyait voler sur la liquide plaine
Les chariots ramants de l'isle Cyprienne :
Toutes choses estoyent paisibles en leur lieu,
Et tout uni ensemble adoroit un seul Dieu
Selon qu'il commandoit, l'honneur de sa Parole
N'estoit point transferé à celuy de l'Idole :
La Grece n'adoroit encores ses faus dieus
Sous le nom usurpé des estoilles des cieux.
Mais depuis que le monde a cognu la malice,
Depuis que lon a fait de la Prestrise un vice,
Tout aussi s'est changé, & le monde à rebours
Tousjours s'en est allé, le ciel changea le cours
De son peuple doré, car depuis les estoilles
Nous menaçoyent le chef, nous avons mis les voiles
Et le bois sur la mer, & la cruelle mort
A commencé deslors à monstrer son effort,
Mesmes dedans les eaus Dieu envoya sur terre
La tempeste, le feu, la gresle, & le tonnerre :
Les elements aussi ont rompu leur accord,
Et les hommes mortels ont avance leur mort :
Il n'y a eu que guerre, & tout alloit sans bride,
Le froid contre le chaut, le sec contre l'humide :
Car les discords regnoyent, & regnoyent les combats.

La terre se sentit couverte d'un amas
De vapeurs, qui nous ont causé les maladies,
De chaleurs, qui nous ont causé les pleuresies,
De pestes en Autonne, & de fievres l'Esté,
A cause de nos maus, non pour un Promethé
Qui desroba le feu (la race d'Iapete
N'a point commis la faute, helas nous l'avons faite)
Tous les hommes ensemble aimants la nouveauté,
Ont leur Dieu par leur faute induit à cruauté.

Mais c'est toy par sur tous infame Apostasie,
C'est toy qui a trompé l'humaine fantasie
Execrable Prestrise, as-tu pas la raison
De l'homme perverty ? l'enyvrant du poison
De ton large hanap ? c'est par toy que la France
Nouvellement encor' a eu tant de souffrance :
Par toy les Roys ont pris leur glaive entre leurs mains,
Renouvelant le fait des deux freres Thebains :
Par toy nous avons sceu que c'est que de miseres,
De souspirs, de sanglots, de cris & de prieres,
Car tu fais adorer les hommes plus hais,
Les faisant obeir par le Roys obeis.
C'est toy qui as causé nostre guerre civile,
Lors qu'on abusoit du royaume pupille,
Et tu cerches encor tous les jours les moyens,
Pour faire nos François semblables aus Troyens,
Depuis que lon a veu qu'à toy s'est venu rendre
Ce furieus Chorebe amoureus de Cassandre,
Qui trop de ton amour maintenant insensé,
Ose renouveler le combat commencé.
Malheureus ! qui ne sçait que dedans nostre armee
Il pourra rencontrer un Gregeois Penelee.

Vrayement tu dois bien remercier Ronsard,
Qui te defend si fort pour desguiser ton fard :
Il a plus fait luy seul que toute la Sorbonne,
Depuis qu'il a receu sur son chef ta couronne,
Couronne qu'il estime un tresor precieus,
Couronne le loyer des hommes ocieus,
Laquelle sur son chef à la fin s'est triplee,
Car aussi par trois fois il l'avoit appelee.

Il est premierement de Myrte couronné
Que Venus en present un jour luy a donné,
Où le père Bacchus entortilla son lierre,
Pour avoir bien chanté les louanges d'un verre.

Puis apres ce beau Dieu, horreur de l'Hellespont,
Ce gardeur de jardins, luy couronna le front
De fueilles de Gajac : Et maintenant encore
Tu luy en as donné un autre qu'il adore.

Aussi c'est à bon droit qu'elle est au plus haut lieu
Comme la plus exquise : apres comme au milieu, (400)
Apparoist le present de la belle Cyprine,
Qu'il appela depuis la couronne myrtine.

La derniere couronne est assise à l'entour
Des oreilles, qui t'a, peut estre, rendu sourd
Miserable Ronsard, dont l'humeur qui t'en reste,
Acheve de gaster le cerveau de ta teste.

Aussi pour peu de mal, tu jouis d'un honneur
Dont le Roy le plus grand ne peut estre donneur :
Car desja peu s'en faut que la grande Prestrise
(Qui s'acquiert tout ainsi que la fille d'Acrise
Par or & par argent, l'une & l'autre est putain,
Et l'une & l'autre embrasse un Pape & un Juppin)
Ne saisisse ton chef : car ce present si rare
De trois couronnements ressemble la tiare
Du Pontife Romain. Et doutes-tu encor
Que tu ne sois Evesque ? & que la crosse d'or
N'honore quelque jour en lieu d'une guiterre
Ta main qui va signant les ondes & la terre ?

Encor' est-ce bien peu, car ton destin fatal
Me dit que quelque jour tu seras Cardinal,
Et Pape puis apres, les vertus Cardinales,
Et celles que lon voit aus dignitez Papales,
Reluisent dessus toy, tout ainsi que reluit
La brigade du ciel qui nous dore la nuit.

Et si lon a bien veu que jadis Alexandre
(Je dis ce Borgia qui fit son fils son gendre)
A tenu si long temps le siege du Papat,
Pourautant qu'il aimoit si fort le celibat,
Et si Caraffe aussi a peu estre du nombre
Du grand college rouge, asseuré dessous l'ombre
Du sainct Pere son oncle, il ne faut point douter
Que tu ne puisse' aussi en tel degré monter.

Rien ne peut t'engarder, tu es bon Atheïste,
Ne croyant point de Dieu, & vray Digoriste,
Tu es blasphemateur, exorciste, jureur,
Bon renieur de Dieu, bon joueur, bon pipeur,
Et bref tu es rempli de toute la louange
Qui peut faire sortir un Prestre de la fange.
Or je te diray bien les moyens dont tu peus
Parvenir a ce but dont tu es desireus.
Il faut bien commencer pour devenir bon maistre.

Il faut premierement que ce beau nom de prestre,
Te soit en reverence, & pour ne sembler point,
Favoriser l'estat, dire de point en point,
Quelques petits abus qui sont en la prestrise,
Qui petit a petit se sont mis dans l'eglise :
Qu'il les faut bien oster, sans vouloir toutesfois
Faire teste aus Prelats qui ont basti les loys.

Il faut deffendre aussi le siege Apostolique,
Appeller la Romaine Eglise, Catholique.
Au reste detester les noms qui sont en os,
Sans toutesfois comprendre en cela les cagotz.

Se moquer des habits que portent les Ministres
Les appelant, brigands, assassineurs, belistres,
Sans combattre pourtant par aucune raison
La doctrine qu'ilz ont en leur religion.

Il faut aussi, Ronsard, faire des exorcismes,
Contre eus, non contre ceus qui induisent les scismes,
Qui ont dedans la teste un demon pour martel,
Non point pour conjurer les songes de Postel,
(Postel ton grand amy) qui a toute remplie
De sa grande fureur la France & l'Italie,
Et qui a peu aussi ton esprit attiser.

Mais scais-tu qui encor tu peus exorciser ?
Ces Reistres importuns tout noircis de fumee,
Preschants, comme tu dis, une Evangile armee,
Ilz ont le diable au corps, quand ilz sont trop vernis
De l'alme vermillon de ton père Denis.

Mais je te suis amy, garde toy, je te prie,
De t'attacher trop pres a leur rouge furie,
Et que sans y penser, tu te trouve' empesché
De grands coups de marteaus au lieu d'une Evesché.

Ilz t'exorciseroyent plustost, & leur pistolle
Te ferois avorter le demon qui t'affolle,
Et puis incontinent, pàour te faire parler
Un peu plus sagement, ilz te pendroient en l'er,
Non pour estre aux corbeaus la pasture commune,
Mais pour estre plus pres du pays de la Lune,
Qui embrasse tousjours les gens de ton humeur :
Elle pourroit avoir pitié de son rimeur,
Et peut estre qu'aussi ell' te seroit amie,
Aussi bien quelle fut au dormeur de Latmie :
Te voyant si gentil, si gaillard, si adroit,
Si plein de son humeur, & ton cerveau si froid.

Toutesfois que je croy que sa froide puissance,
Ne pourroit surmonter ceste bouillante enfance
De ces soldats vineus, qui avec leur charrois
Cheminantz sous Bacchus ont veincu les Indois
A force de canons, & a force bouteilles :
Ilz n'y laisserent rien, pourtant, ne t'esmerveilles
Si au lieu des presents des Indes, sur les bords
De ta chappe on y voit que reliques des mortz.

Regarde donc, Ronsard, que ta Muse mutine
Par apres ne s'attache au soldat qui chemine
Sous l'enseigne du thyrse, ensuivant pas a pas
Le Lychnite Bacchus qui preside aus combats.

Tu te vantes que Dieu eut pitié de tes Muses,
Quand on tira sur toy cinq coups de harquebuses
Aupres de ton pays, & pource il t'est advis
Que Dieu te favorise en tes meschants devis, (500)
Et que l'œil tout-voyant de sa douce justice
Prenne plaisir aus gens qui aiment la malice.

Mais je te respondray l'oracle que jadis
(S'il est vray ce qu'on dit) le dieu beuf Serapis
Respondit au meurtrier encore tout humide
D'avoir plongé ses mains en un frais homicide.

Cet infame voleur dormoit aupres d'un mur
De quelque vieil logis, qui du danger futur
Luy menassoit son chef, & desja la ruine
Commençoit a tomber, mais la bonté divine
L'eveilla, luy disant, Leve toy voys-tu pas
Ce mur demi-rompu qui va tomber a bas ?

Lors le voleur joyeus va faire sacrifice,
Pensant que Dieu aymast a voir une injustice :
Mais ce Dieu luy respond, Penses-tu que mes yeus
Prennent plaisir a voir les hommes vicieus ?
Si j'ay chassé de toy la ruine presente,
C'est pource qu'au gibet ton corps a son attente.

Mais passons plus avant, tu dis qu'un Predicant
Ne se devroit moquer de ton pauvre accident,
(Car tu nommes ainsi le mal de ta verolle,
Et de ta Surdité qui hausse ta parolle)
Je l'accorde, Ronsard, si nature t'eust fait
Naistre en ces accidens, ou que plustost le lait
De ta mere en fut cause, alors on pourroit dire
Que ce seroit de Dieu que te vient ce martyre.

Mais ce sont accidens qui te sont survenus
Ou d'avoir trop ramé a la nef de Venus,
Ou d'avoir trop lasché aus passereaus la bride
Trainants leur chariot voletant par le vide,
Pour mener leur maistresse a l'Isle de paphos
D'Amathunte, d'Eryx, de Cypre, ou de Golgos :
Mais tu t'es forvoyé, & Venus l'Escumiere
En lieu de son pays te traina dans Baviere :
Depuis favorisant son dessein, te mena
En Sicile pour voir la montagne d'Ætna,
La ou neuf ou dix mois tu as esté l'usage
De quatre forgerons haletans a l'ouvrage,
Et la quelqu'un d'entr'eus paraventure lourd,
Ta cougné si long temps qu'il t'en a rendu sourd.

Si ce n'est que ce mal avecques la verolle
Te vient d'autre costé, d'autant que tu t'enrolle
Au nombre de Thamyre, & d'Homere, & de toy
Miserable Everide, a qui la dure loy
De la sage Deesse emporta la lumiere
De ses yeus trop voyants, sans que la pouvre mere,
Compaigne de Pallas, Chariclo, peust devant
Detourner le destin aus yeus de son enfant :
Car l'oracle des dieus estoit inviolable,
Qui donne le loyer d'un mal insupportable
A quiconque les voit quand ilz ne voulent pas,
Comme fit Tiresie en regardant Pallas.

Aussi tu pourrois bien avoir perdu l'ouye,
Pour avoir a ton dam nostre doctrine ouye,
Que Verité Deesse enfant de l'Eternel
Ne communique pas a tout homme mortel :
Et qui la veut ouir sans que Dieu luy permette,
Un grand & tel loyer doit tomber sur sa teste :
Ou qui l'ayant ouye, & n'en ayant jouy,
Feint de n'avoir ouy ce qu'il a bien ouy.

Nous ne t'engardons point de dire tes deffences,
Mais tu ne diras pas, Ronsard, ce que tu penses,
Quand cité devant Dieu tu trembleras d'horreur,
Comme un Fan d'une biche a qui le vent fait peur.

Depuis trois ans en-ça tout le monde contemple
De ce qu'ore j'ay dit un memorable exemple,
Exemples qui devroit faire sages les Roys
Pour ne fermer l'oreille a la celeste voix.

Mais je reviens a toy : Tu dis qu'en ta jeunesse
Tu as gousté le miel de la sainte sagesse,
Je le croy bien, Ronsard, mais c'est tant seulement
Comme le chien du Nil, & croy certainement
(Sans ta confession) que ton esprit volage
Ne s'arresta jamais apres nostre langage.

Tu le monstre fort bien, car si tu eusses peu
T'y arrester un peu, tu te fusses repeu
Du savoureus nectar qui coule de la bouche
Du Dieu qui fait trembler les montaignes qu'il touche :

Mais quoy ? tu comparois la puissance de Dieu
A cet aveugle enfant qui n'a jamais de lieu
Certain a s'arrester, ou aus folles Mœnades
Qui tonnent en courant leurs evantes aubades.

La sagesse de Dieu ne s'apprend pas ainsi,
Ell' veut une constance, un esprit endurcy
Aus coups de patience, un cœur qui se desplaise :
Elle qui est semblable a l'or que la fournaise
A purgé par sept fois, donne a ses nourrissons
Un pareil alambic pour leurs affections.

La montagne de Dieu qui est toute sacree
N'est pas un double mont la ou le vieil Ascree
En dormant devint pœte, il faut exerciter
Souvent sa cougnoissance, il nous faut imiter
Le sage buscheron qui vient dans un boscage
Choisir quelque vieil arbre a faire son ouvrage :
Il regarde quel bois luy viendra plus a gré
Ou le cypres, ou l'orme, ou le chesne sacré
Pour faire sa charrue, ou la seur deploree
Du jeune Phaëton : A la fin sa cougnee
Se rue sur un til : il commence a frapper,
Si de ce premier coup l'arbre ne veut tomber, (600)
Il donne le second, & puis trois & puis quatre,
Et bref, tant qu'il l'abbatte, il ne cesse de battre,
Jusqu'atant que bien loing on entende les bois
Abbayer sous les coups du fer, & sous la voix
De ce tronc esclatant, quand la force derniere
Luy fait laisser ses bras appuiez sur sa mere.

Ainsi devons-nous faire a l'Evangile, affin
Qu'a ce but desiré nous venions a la fin.

Mais toy tu veus avoir un Jupin adultere,
Tu veus voir en tes Dieus les incestes d'un frere,
Pour couvrir ton ordure, en alleguant les Dieus
Comme premiers meschants, & premiers vicieus.

Quand le faus bruit couroit que ceus de nostre Eglise
Ne s'assembloyent si non que pour la paillardise,
Quand on nous mettois sus (comme l'Athenien
Du temps d'Athenagore accusoit le Chrestien)
Ta grande impieté, & l'execrable inceste
De l'aveugle Œdipode, & le fait de Thyeste,
Alors tu nous suivois pour voir si vrayement
Noz façons ensuivoyent le commun jugement.

Mais voyant le contraire, & que nostre doctrine
Estoit a la vertu entierement encline,
Incontinent de nous ton pied s'est escoulé
Comme ayant la vipere imprudemment foulé.

Je ne m'esbahys donc, si tu n'es point du nombre
Des vrays enfans de Dieu asseurez sous son ombre :
Le sainct Esprit de Dieu n'eslit pas un chascun,
Et choysist bien souvent les hommes du commun.

Voyla pourquoy tu dis que dedans nostre escole
Jamais l'homme sçavant n'y le riche s'enrolle.

Escoute, bel Evesque, avec ta Surdité,
La pureté du monde est immondicité
Au devant du Seigneur, & toute la Sagesse
Ignorance du tout, la Pauvreté, Richesse.

La bonté du Seigneur se manifeste a tous,
Mais son Election Ronsard, est propre a nous,
Qui sommes estimez les ignorans du monde,
Et sommes appelez le trouppe vagabonde.

Si tu en veus sçavoir maintenant la raison,
Tu la pouras sçavoir par ma comparaison :
Bien que je sache bien que tes sottes paroles
Ne se font que moquer des saintes paraboles.

Comme un riche bourgeois qui veut faire un festin
Superbe & somptueus, il fait dés le matin
Convier au banquer les plus gros de la ville,
Ceux qui ont en leurs mains la police civile,
S'il advient que ces grans invitez d'y aller
S'excusent à celuy qui les fait appeler
Trompants son esperance, à leur refus on mande
Ceus du peuple commun pour manger la viande
De ce brave banquet, là où le peuple bas
Se vient asseoir au lieu des grans qui n'y sont pas.

Ainsi Dieu fait de nous, quand la grandeur rebelle
Dedaigne à se trouver là où Dieu les appelle,
Et bien souvent on voit que la bonté de Dieu
Laissant les grands, s'adresse à ceus de plus bas lieu.

Je di ce Dieu Ronsard, qui gouverne le monde
De sa seule parole, & qui appaise l'onde
De la mer escumeuse, & qui la fait enfler,
Et monter jusqu'aus cieus s'il luy plaist de souffler :
Qui fait trembler la terre, & la superbe cime
Des monts les plus haussez par les vents qu'il anime :
C'est luy qui te menasse, & qui d'un bras puissant,
D'un labeur indonté va tousjours punissant
Les Princes eslevez, les brisant comme verre,
Ou bien comme un potier son ouvrage de terre :

Qui hait l'orgueil du monde, & qui fait deplaçer
Celuy qui s'enfle trop & qui se veut hausser,
Luy luy qui tend la main à nostre petitesse,
Et qui fait abaïsser la grandeur & l'altesse
Des terrestres geants, dont l'impuissant effort
Nous menasse tousjours du danger de la mort.

Mais toutesfois di-moy quels sont ces personnages
Que tu estimes tant & que tu fais si sages,
Qui n'ont, comme tu dis, gousté de la poison
Que nous emmielons dedans nostre oraison.

Amyot ce dis-tu, & Paschal, & Danese,
Dont le trop grand desir de se voir à son aise
Engarde les meilleurs de dire verité,
Qu'ils haïssent autant qu'ils font la pauvreté.

L'un ne vit que d'aumosne, & l'autre de la graisse
De son maigre troupeau qu'il veut tondre sans cesse.

Ne t'esbahis donc point s'ils ne veulent laisser
Les superbes morceaus qui les font engraisser.

Je ne parleray point de leur grande science,
Veu que personne encor n'en a grand' cognoissance,
L'un estoit à Paris aus escoles lecteur,
L'autre veut estre creu fidele traducteur.

Quant à ton cher Paschal, tout le monde confesse
Qu'il est docte & sçavant, l'Italie & la Grece
Le cognoissent fort bien, car par tout l'univers
On ne lit que le nom de Paschal en tes vers.
Puis l'attente qu'on de sa Françoise histoire
Fera graver son nom au dos de la memoire,
Histoire qui jamais peut estre ne mourra,
Car peut estre qu'aussi jamais ne vivera.

Faites place vous tous dont la plume faconde
Soit Grecque ou soit Latine a estonné le monde :
Voicy je ne sçay quoy qui quelque jour naistra
Plus grand que Tite Live, & qui rabaissera (700)
La gloire d'Herodote, & du grand Diodore,
Du grave Thucydide, & de Polybe encore.

Venez Muses venez pour accoller Paschal,
Donnez-luy le chappeau digne d'un Cardinal :
Asnes rouges venez, & cueillez force branche
Pour jetter dessus luy & sus sa mule blanche,
Qu'on luy face caresse, & qu'on jette à plein poing
Des chardons herissez sur sa teste de foin.

C'est-luy qui a premier d'une façon nouvelle
Fait croire qu'il estoit historien fidele
Sans rien mettre en escrit : c'est luy qui finement
Entretenoit un Roy de mines seulement,
Et de mines aussi qui s'est fait donner gage
Pour faire disoit-il un historique ouvrage,
Lequel non commencé, sortira, ce dit-on,
Plus tard que l'an d'Harpale & que l'an de Meton.

Il est vray qu'autresfois pour cacher ceste ruze
Il en a bien tracé quatre lignes d'excuse,
Car ce pendant tousjours ses gages il tiroit,
Et pour estre admiré de ceus qu'il desiroit
(S'il est vray ce que dit l'Epistre à Leoquerne)
Il les laissoit tomber mesmes dans la taverne,
Là où quelqu'un venant amassoit ce papier
Que l'aucteur tout expres vouloit bien oublier,
Et lisant quatre vers du livre quatriesme,
En contoit desja trois, bien que le troisiesme
N'eust jamais precedé, car il n'y avoit rien
Que ces quatre versets qu'eust fait l'historien.

Heureus historien ! dont une histoire entiere
N'est que de quatre vers : Or sus, passons carriere,
Je ne veus davantage irriter son courrous
Jusqu'à tant qu'on ait veu son livre contre nous.

Mais prens-le cas, Ronsard, qu'il n'y ait n'y richesse,
N'y science avec nous, ce que je ne confesse,
Que la grandeur du monde les faveurs & les biens
Ne sont point avec ceus qu'on appelle Chrestiens :
Que veus-tu inferer par un tel Syllogisme ?
Que la religion que nous tenons est scisme,
Et que nostre doctrine est nouvelle pourtant,
Qu'elle n'est point de Dieu : on en disoit autant
Des disciples de Christ, dont la sainte parole,
Que tu n'estime encor' qu'une fable frivole,
T'est encores nouvelle, & telle te sera
Tant que ta vieille peau au monde durera.
Et comment pourrois-tu sa parole comprendre,
Quand tu n'en crois en luy, non plus qu'à ta Cassandre
Les melheureus Troyens : tu le fais un menteur,
Exorciste meschant, le vers blasphemateur
De ton hymne d'Hercule en est bon tesmoignage,
Quant tu le fais semblable à ce monstre sauvage.

Et puis tout furieus d'Atheïsme saisi,
Tu appelles de Christ l'Evangile moysi,
Comparant eshonté nostre sainte doctrine
Aus haillons recueillis aupres d'une latrine.
Meschant blasphemateur, Atheïste insensé,
Tu cognoistras un jour ce que tu n'as pensé,
Qu'il y a quelque Dieu, qui d'une peine extreme
Te fera ressentir cet horrible blaspheme,
Quand l'aigre dous parler de son grand jugement,
Faisant trembler la terre & tout le firmament,
Haussera la bonté abaissant la malice
Par le seul soufflement de sa sainte justice.

Tu cognoistras alors que c'est de Jesus Christ,
Et que c'est de pecher contre le saint Esprit,
Comme tu fais, meschant, qui ayant cognoissance
De la grandeur de Dieu dedans ta conscience
(Tu t'en vantes aumoins) n'estant point irrité,
Tu craches contre ceus qui disent verité.

Tu diras bien alors que tes vers inutiles
Ressemblent aus papiers des mal-saines Sibylles,
Qui s'en vollent en l'ær à l'abandon du vent,
Apreds avoir servi au tourbillon mouvant.

Tu maudiras encor' ta vaine poësie,
Tu diras que ton ame estoit du tout saisie
En lieu de Jesus Christ d'un diable d'Apollon.

Tu sentiras ton cœur arrogant & felon,
Et trop outrecuidé d'avoir lasché la bride
Si fort à ta fureur, que d'égaller Alcide
Au fils de l'Eternel : tu penses qu'il soit bien
Redevable & tenu à ton hymne Chrestien,
Pour faire à Dejanire égalle son eglise,
Pour comparer son fait à une paillardise,
Est-ce la le louer, ne peut-on autrement
Glorifier son nom sinon en blasphemant ?
Hymne est-il à bon droit, aussi un nom plus digne
Ne pouvois-tu trouver pour un blaspheme insigne,
Car hymne aucunesfois est un mauvais renom,
Ainsi la grave Æschyle a usurpé ce nom,
Le prenant pour blaspheme, en une sorte estrange :
Car ordinairement c'est à dire louange,
Ce que je croy Ronsard, que tu entens fort bien,
Toy qui as rapporté le miel Cecropien
Le premier aus François, toy qui as rapportee
(Comme tu t'es vanté) du rivage d'Actee
La ronde diction & la facondité
Que Minerve planta dans sa docte cité.

Il est vray qu'on pourroit recevoir pour excuse
Ta fureur avouee, en disant que ta Muse
Est furieuse alors que tu fais tes escrits.

Nous le sçavons, Ronsard, & nos petis esprits (800)
Ne sont pas si grossiers comme tu fais la mine,
Le sang que jous cachons dedans nostre poitrine
N'est pas si fort gelé, que nous ne puissions bien
Juger comme tu fais, & du mal & du bien.

Or je confesse bien qu'on a eu quelque estime,
Il y a quelque temps, de ta superbe rime :
Du Bellay toutesfois, du Bellay plus sçavant
Avoit ja estendu son los jusqu'au levant :
Et encores qu'on veist que sa plume feconde
Qui n'a point de pareil, surmontroit tout le monde,
Si est-ce qu'en apres ton esprit eshonté
Nous pensoit faire voir qu'il estoit surmonté.
Mais tu l'as fait en vain, encores que ta gloire
Ne fust ostee encor' du dos de la memoire.

Pourquoy donc escris-tu que tu es le premier
Qui as à nos François apporté ce mestier ?
Que tu es nostre loy & la seule fontaine
Qui jette sa liqueur que nous puisons à peine.
Que tu es nostre source, & abondant en eaus,
Qui fais surgir pour nous tous les jours des ruisseaus ?
Et que seul entendant les destroits de Pindare
Tu as haut elevé nostre langue barbare ?

Ha chetif que je suis ! chetif si un Ronsard
Me doit servir de reigle, & si faut que son art
Me soit l'art Poëtique, il faut donc desapprendre
L'Aristote, & l'Horace, & lire sa Cassandre.

Ha plustost qu'ainsi soit, j'aime mieus vous quitter
Vous & vostre mestier, filles de Jupitr
Qui le favorisez, ma gloire soit enclose
Plustost dans le papier d'une divine prose.

Je renonce les vers plustost que d'irriter
Les escrits de Ronsard, j'ayme mieus tourmenter
Mon esprit à trouver la ronde quadrature,
Mesurer le soleil, former quelque figure
Dans la docte poussiere, & sçavoir les labeurs
De la lune & du ciel, d'où viennent les tremeurs
Qui assaillent la terre, & de quelle puissance
L'Ocean reciproque aime son inconstance,
Que c'est qui fait aussi que les jours de l'hiver
Plustost que ceus d'esté se hastent d'arriver
Dans l'humide sejour, j'aimerois mieus encore
Comme le Tarantin conter l'arene more,
Et par inventions mon pays secourir,
Me reputant heureus à la fin de mourir
Comme l'ingenieus vieillard, qui en Sicile
Long temps, contre Marcel, a defendu sa ville.

Mais ores on void bien que tu es furieus,
Que vrayment ton esprit est bien avertineus :
Je cognois ore bien que tu es un profete
Qui remplit de fureur sa cortine secrete :
Car tu es tous les jours trop remply de ce Dieu,
Qui fait chanceler l'homme incertain en un lieu.

Ronsard, tu es semblable à ce vieillard Silene
Qui ne pouvoit chanter qu'ayant la teste pleine
De la rouge douceur de son Dieu nourrisson.

Lors Chromis & Mnasyle ouirent sa chanson
Dedans l'antre moussu, les Faunes & Dryades
Et les Nymphes des eaus en faisoyent les gambades,
Et les chesnes sacrez dansoyent sur leur couppeau :
Car ce dieu du raisin dominoit le cerveau
De son maistre vieillard, dont les vaines enflees,
De sa chaude liqueur estoyent trop eschauffees.

Ainsi est-il de toy, car lors que tu escrits
Ta cervelle est esmeue, & tes foibles espritz
Ne sont pas asseurez, & pource Democrite
Te donne en l'Helicon le lieu que tu merite'.

Mais tu as tort, Ronsard, de dire que c'est toy
Qui nous monstres ton art, que tu es nostre loy :
Donc noz mots sont a toy, & toutes noz pensees
Devant nous ont esté dans ta teste amassees.

Je vous appelle tous, Poëtes, qui avez
D'un sainte douceur les espritz abbreuvez,
Qui avez en haussant vostre feconde veine
Egallé mieux que luy la Greque & la Rommaine.

Voulez-vous endurer qu'un impudent vanteur
Vous despouille a la fin de vostre bel honneur ?
Venez divins esprits deffendre voz louanges,
Qu'on despouille hardiment de ces plumes estranges
La corneille jazarde, affin que son corps nu
Soit moqué de la bande & le larçin cougnu.

Et si doresnavant il se presente encore
Pour penser provoquer ce divin Theodore
(Rare present de Dieu) & qu'il soit ostiné,
Prodigue de sa vie, a se voir ruiné.

Qu'il soit rendu semblable à ce lourdaut Marsye,
Qui se vantoit a tort du larcin de Phrygie
Pour provoquer Phœbus au son du chalumeau,
Et pourtant a bon droit on escorcha sa peau
Qu'Apollon tout expres, pour signal, voulut pendre
Aus arbres ombrageants les rives de Meandre
(Des cygnes le sejour) ou le pauvre Hyagnis
A depuis deploré le malheur de son filz.

Vrayement ce seul point vous devroit bien induire
A le vouloir combattre, & a le contredire :
Car il s'est addressé a tout le saint trouppeau
Que Parnasse a nourry sur son double couppeau.
De sorte toutesfois ainsi qu'il se fait croire
Qu'il ne vous reste rien de vostre belle gloire.
Vous ne serez donc plus des poëtes sacrez,
Si vous laissez ainsi voz honneurs massacrez : (900)

Il dit qu'il est luy seul le maistre de la lyre,
Qu'il scait mieus entonner les flustes que Glaphyre,
Et qu'il est nostre Homere, espandant ses ruisseaus
Pour nous autres petits qui puisons dans ses eaus.
Qu'il a seul surmonté, le dous son de lydie,
Le dorique instrument, & celuy d'Ionie,
Et de Phenice encor, qu'il est plus qu'Amphion,
Qu'Orphee dans les bois, dans les eaus qu'Arion,
Que Daphnis, que Musee, & que le docte Line,
Line fils d'Appollon, qui eut de sa doctrine
Un trop mauvais loyer, quand miserablement
Hercule le tua de son propre instrument.
Quand a vous, mes amys, vous n'estez point en conte,
Car l'arrogant vanteur Apostat de la honte,
S'est tout attribué, & gourmand de l'honneur,
S'est fait de vostre gloire un vilain blasonneur.

Et puis il jure dieu, qu'il voudroit que sa gloire
Ne fust encor escrite au dos de la memoire
Que celuy n'est heureus qui se voit honoré
Des peuples estonnez, & qui est admiré.

Certes il dit bien vray, mais sa grande inconstance
Fait parler son papier autrement qu'il ne pense :
Ou bien en ce faisant il ensuit la façon
Du parasite ancien jadis nommé Gnathon :
Ce parasite, affin de manger la viande
Qu'il voyoit sur la table estre la plus friande,
Crachoit dedans le plat, non qu'il y eust danger,
Mais affin que la bande eust horreur d'en manger,
Et que par ce moyen il la mangeast entiere.

Ainsi nostre Ronsard d'une fine maniere
Crache sur la louange, & dit qu'on est heureus
Quand on n'est point cougnu, & qu'on n'est desireus
De la gloire du monde, & qu'un homme est plus sage
Dexerçer le mestier du rude labourage.

Mais quand il veut ainsi du monde estre caché,
C'est pour manger tout seul l'honneur qu'il a craché.
Car il voit aujourdhuy qu'il n'y a plus personne
Digne de quelque honneur, qui louange luy donne,
Et ceus qui autresfois l'avoyent si fort loué,
Veulent que cet honneur soit or' desavoué.

Car depuis qu'on a veu qu'il est devenu prestre
Et viellard quand & quand, il n'a plus fait paroistre
Le peu de cet honneur qu'il avoit merité,
Alors que ses bons ans estoyent en leur esté.

Il est bien vray qu'il a des prestres la louange
N'agueres a Paris un docteur plein de fange
Achetant ses escrits, celebroit ses vertus,
Et disoit, ce Ronsard fait encor mieus qu'Artus.
Mais tout homme qui a la cervelle mieus faite,
L'aymant au paravant, maintenant le rejette.

Ainsi que sur l'esté quand le Soleil plus beau
Entre dans la maison du chalereus Taureau,
Quand la verte Ceres des plaines ondoyantes
Desire la faveur des chaleurs jaunissantes,
On voit parmi les champs renaistre les chardons,
(Agreable viande aus sauvages asnons.)

Apres sur la saison que le vieil Capricorne
Nous ramenant l'hiver monstre sa froide corne,
On voit les blancs floccons de leur vieillesse, autour
De leur chef espineus, haïssant le sejour
Comme inutile a tout, mesme l'asne sauvage
Qui l'aimoit tant devant n'en aime plus l'usage
Et ne sert plus de rien, si ce n'est que les vents
Le soufflent pour servir de jouet aus enfans,
Jouet qu'a fort bon droit ilz ont appelé prestre.

Ainsi sa vieille Muse autresfois bien adestre
A se faire estimer, a maintenant perdu
L'honneur que son jeune aage avoit loing espandu.

Scais-tu pourquoy Ronsard ? ceste pauvre vieillesse,
Ou prestrise plustost, t'aggrave de paresse,
Te rend melancholique, opiniastre, affreus,
Phantastique, indiscret, mal-courtois, soubçonneus,
Inhabile, inutile, & d'un humeur esclave
Qui te cause, Ronsard, incessamment la bave,
Qui te rend furieus, vagabond, inconstant,
Farouche, hors du sens, content & non content,
Sans repos de l'esprit, ainsi comme un Oreste
Dans la scene agite de furie, & au reste
Chancellant en advis, & tousjours incertain,
Comme un homme qui est trop assommé de vin.
Quant a ton jugement il resemble a Penthee,
Qui pense voir sa mere avec tout une armee
D'Eumenides, qui voit, incertain de son œil,
Deus Thebes, ce luy semble, & un double Soleil.

Voyla le pauvre estat ou maintenant te laisse
Ta diserte prestrise & ta sourde vieillesse.
Tu scais bien si je ments, l'Elegie a Grevin
Pourra bien tesmoigner si j'ay parlé en vain.

Mais quoy pauvre Ronsard ? tu n'y scaurois que faire,
Car nous ressemblons tous la rose journaliere,
Et nostre beau Printemps nous laisse tout ainsi
Que le Soleil, la felur que l'on nomme Soucy.
Alors qu'il veut tramper dans la mer sa charrette,
Et qu'il veut faire place a la mere segrette
Des celestes flambeaus, & a sa brune seur
Qui emprunte de luy sa blafarde couleur.

Aussy ne veus-je pas te tourner a un blasme
Ce dommage commun, la naturelle flamme
Ne dure pas tousjours, nous sentons arriver
Apres nostre beau temps, dessus nous un hiver. (1000)
Et bref il n'y a rien en ceste masse rude
Du monde, qui ne sente une vicissitude.

Mais toy-mesme, Ronsard, tu blasmes ton malheur,
Car tu dis que tes ans sont encor en vigueur,
Et que ta face aussi tousjours bien asseuree,
N'est du soc de vieillesse encores labouree.

En sorte que du crains la vieillesse Ronsard,
Te faschant sans raison d'estre appellé vieillard :

Bien que ta laide mine, & ta face eshontee,
Approche de l'horreur d'une ame Acherontee,
Et Jupiter desja d'un regard furieus,
T'a chraché force neige a l'entour des cheveus,
T'a lancé sur l'oreille un trait de sa tempeste,
Et sa maudite gresle aus pieds & a la teste.

Or baste, qu'ainsi soit, je ne veus regarder
De si pres a tes ans, je te veus conceder
Que tu es jeune encore, encor que tu sois prestre,
Car jeune tu seras quant vieil tu voudras estre.

Mais viença jeune prestre, Apostat de vertu,
Poëte verrolé, pourquoy desprises-tu
Le simple accoustrement que porte le ministre ?
Si nous sommes meschants pour porter un long reistre,
Nous ne sommes pas seuls, vous l'estes tous aussi,
Car la plus part de vous le porte tout ainsi.

A tout le moins di nous quelle façon plus ronde
Jesus Christ a aymé quand il estoit au monde,
Estoit-il point vestu en petit capellant
En moyne ou en abbé, en prestre prestolant ?
Son habit estoit simple encor qu'il fut grand prestre,
Aussi en cet endroit simples nous voulons estre.

L'habit simple convient a la Simplicité,
Et simple n'y a rien plus que la verité :
Si nousn portions l'habit de voz Protenotaires
De ces souris de court, ou de ces grans vicaires
Tu nous pourrois blasmer, mais contre toy Ronsard
Nous aymons la simplesse, & haïssons le fard.
Nous aimons a porter un habit sans envie,
Qui tesmoigne par tout l'estat de nostre vie.

Quand a toy, si tu veus, porte les ornements
D'un moyne endiablé, & tels que les couvents
Couvent dans leurs bordeaus, un froc dessus l'espaule
Ou le diable a part, une sinistre estolle
Pour chasser les esprits, & encor de rechef
Un badin domino pour te couvrir le chef.

Ou si tu ne veus point du sot habit des moynes,
Va porter si tu veus les habits de chanoines
Cheminant en un cloistre, ayant le gauche bras
Mussé de quelque aumusse, & d'un breviere gras
Honore ton surplis qui brusquement ondoye
Au plaisir du porteur qui veut que l'on le voye.

Quand a moy je les hay, & fais guerre aus habits
De ces loups desguisez sous des peaus de brebis.

Il me deplaist de voir dans quelque monastere,
Quelque frere caphard, ou bien quelque beau pere
Avec un tel habit, & me deplaist de voir
Un prestre qui s'appreste a faire son devoir
Sur un autel quarré, quand sa digne prestrise
Veut chanter une Messe : Il entre dans L'eglise ;
Il appelle le peuple, il sonne quelques coups,
Il commence a chanter, hurlant comme les loups
Qui s'en vont matineus pour cercher leur pasture,
Criants de tous costez si verront point l'allure
De quelque marcassin, ou sortant hors des bois
Si la simple brebis fait entendre sa voix.

Ainsi Monsieur le Prestre hurle parmi le temple,
Puis il se taist, & resve, & puis il se contemple,
Il frappe sa poitrine avec ses ordes mains
Et puis il les estend sur les pauvres humains,
Et maintenant il dort, maintenant il s'eveille
(Quand il est temps de boire) au son de la bouteille.

Apres on le verra fueilletant son Messel,
Jouer de passe-passe a l'entour de l'autel,
Quand levant le rondeau de son dieu de farine,
Il parle bellement d'une piteuse mine,
Pour de sa dent meurtriere a deus mains devorer
Son Dieu blanc qu'il monstroit devant pour adorer.
Il s'en jouë ainsi comme un fol de sa marotte,
Ou comme un chat qui roule une ronde pelotte.

Mais quand un peu apres on vient pour allumer
Une torche enciree, il commence à humer
Du profond du gosier le vin que le novice
Luy avoit pardevant versé dans son calice.

Apres qu'il a bien beu, il s'en retourne saoul,
Au demeurant gaillard, croté jusqu'au genoul,
Et garny de la bourse, il vous trousse ses quilles,
Faisant sonner ses clefs qui pendent aus coquilles,
Faisant souvent la croix apres avoir baaillé.

Il a les cheveus longs comme un Juif retaillé,
Le nef comme une tour, une aulne de machoires,
Une barbe en façon de vieillles decrotoires,
Qui blesse le menton de ses petis enfans,
Qui luy sautent au col comme de petis fans,
Qui courent chancelants pour caresser leur pere,
Quant ils ont bien sucé le grand pis de leur mere.

Voyla le saint estat de ceus que maintenant
Le povre peuple adore, & qu'il va soustenant.

Au reste s'il advient que quelque grande feste
Requiere le sermon, le bon homme s'appreste
A faire quelque conte, ou de saint Nicolas,
Ou du bon saint François : & voyla le soulas (1100)
Qu'il donne à son troupeau, au lieu de l'Evangile,
De conter comme on dit, quelque conte inutile
De la cicoigne, ou bien de parler sans propos
Seditieusement contre les Huguenots.

Or toutesfois Ronsard, je ne veus pas te faire
Semblable à ces curez qui cerchent leur repaire
Par messes, par obits, & par oblations :
Car tu fais, ce dis-tu, les predications
Comme le plus sçavant, quant à faire l'office,
C'est pour un chappelain, ou pour quelque novice,
Pour un prestre affamé, qui ne merite pas
De trainer comme toy la chappe jusqu'en bas,
D'avoir la mitre en teste, & la crosse doree,
De porter les presens de l'Indie honoree
A la teste & aus mains, d'aller sur un mulet,
Et d'avoir cet honneur de porter le roquet :
Car l'or & la richesse aujourdhuy ne regarde
Qu'un esprit desguisé, un homme qui se farde,
Et le Pape aujourdhuy ne donne ce mestier
Qu'aus personnes qui ont un esprit de figuier.

On dit communement, comme un ancien adage,
Que l'Evesque estoit d'or du temps du premier aage,
Et leur crosse de bois, mais maintenant nos lois
Ont fait la crosse d'or, & l'Evesque de bois.

Et certes si en lieu des escarboucles fines ;
Les Evesques portoyent la couronne d'espines,
Et comme Jesus Christ la peine de la croix,
Tu ne crirois pas tant, Ronsard, apres les Roys,
Pour voir en Evesché ta prestrises haussee,
Et pour chanter Francus ta guiterre crossee.

Tu n'estimerois pas honneur, comme tu fais,
De porter sur ton dos superbement le fais
D'une chappe empourpree, & de monstrer ta teste
Par le trou de l'habit qui sort comme une beste,
(Comme tu l'as escrit) car en ceste façon
Tu ressembles au vray un vilain limaçon,
Ou bien un escargot (comme le gros langage
De quelques uns l'appelle) hoste du jardinage,
Qui traçant un sentier se promeine aus matins
Pour venir saccager l'honneur des beaus jardins.

Il marche pas à pas, & redressant sa corne
Traverse ça & la son écailleuse borne,
Comme ne craignant rien, lors que le jardinier
Qui entre dans son lieu avecques un panier,
Pour cueillir quelque fruict, ou quelque herbe commode
A se faire une sausse à l'ancienne mode,
Avec un coup de pied, esparpille menu
Le dos & la maison de ce brigand cornu.

Or bien c'est peu de cas, j'ay honte de respondre
A toutes les raisons dont tu nous veus confondre,
Qui ne servent de rien, & qui monstrent assez
Que tes sens, aussi bien que ton corps, sont cassez.

Quant aus sots arguments de ta Theologie,
Je n'y repondray point, ton ame estoit saisie
Lors que du escrivois en fureur, d'un demon :
Et qui veut disputer avec toy par raison,
Celuy s'efforcera estant fol d'estre sage,
Et avec sa sagesse y mesler de la rage.

Je responds seulement, à ce qu'impudemment
Tu nous as accusez calomnieusement.

Tu mens bien quand tu dis que nostre langue pince
De brocards espineus ce magnanime prince
Ce seigneur de Condé, mais tu penses ainsi
Luy matter le courage, & le rendre adoucy
Envers toy, blasonneur, qui dans ta remonstrance
Comparois sa vertu à une sotte enfance,
Ou au buffle niais qui se laisse mener
Lourdement par le nez : tu ne sçaurois nier
Ce que chacun a veu, tes escrits que lon treuve,
En feront malgré toi tressuffisante preuve.
Mais or' il t'est advis que pour nous accuser
Faussement envers luy, tu pourras abuser
De la grande bonté de sa nature encline
A monstrer à chacun une face benine,
Ainsi que tu pensois qu'en faveur de Limœil
Tu recevrois de luy un plus gracieus œil :
Mais tu t'es bien trompé, une telle querelle
Ne se doit appaiser par une Damoyselle.

Non non ne pense pas qu'il ait le sang si froid,
Qu'il ne cognoisse bien le cœur feint & le droit,
Il sçait bien quel tu es, & ne fait tant d'estime
Comme tu estimois de ta menteuse rime,
Qui alleche les gens comme un marin escueil
Qui cache dans les eaus son dangereus acueil,
Attendant le passant lequel il assassine
Avecques son vaisseau volant par la marine.

Telle est ta poësie où les simples esprits
Se sont sans y penser ainsi trouvez surpris.

Car pour y avoir veu quelque beau frontispice,
Ils pensoyent que pareil deust estre l'edifice
De toute la maison, mais les gens de raison
Voyent une cloaque en lieu d'une maison.

Car, comme les putains de l'infame Subure,
Sous un beau vestement tu caches ton ordure.

Ha Ronsard que ceus-la sont plus sages que toy,
Qui sans avoir suivy ta fantastique loy,
Sans se vouloir mesler de ta sotte querelle,
Appliquent tous les jours leur plus sage cervelle
A quelque beau sujet, qui ne fait esmouvoir
D'escrits seditieus le superbe pouvoir (1200)
De nos peuples armez, mais libres de rancune,
D'ambition, de gain, de perte, & de Fortune,
Laissent passer le temps selon la volonté
De celuy qui tout donte, & qui n'est point donté.

Au moins on ne voit point que leur langue s'altere
Du sang de Jesus Christ, car leur plume legere
Ne suit comme tu dis, le cours de ton ruisseau
Tousjours ils vont cerchants une douce & belle eau.
L'un d'un esprit heureus volant par les trois plaines
Du grand ciel aëré chante les Phœnomenes,
Et les flambeaus du ciel, monstrant à nos François
D'un labeur indonté l'Esphere des Gregeois.

L'autre chante l'escler, la gresle & le tonnerre,
L'autre les animaus qui nous menent la guerre,
Le Ceraste, l'Aspic, & tout autre serpent,
Qui jette son venin aus hommes en rampant.

Divins esprits du ciel, qui suivez comme guides
Les ruisseaus dous-coulants des saintes Pierides,
Tousjours le verd laurier en toutes les saisons
Fleurisse sur vos chefs & dedans vos maisons.

Mais perisse cent fois, ceste troupe idolatre
Qui adore le bois, & la pierre, & le pastre,
Et ces prestres bourreaus qui de leur meschans doigts
Veulent remassacrer Jesus Christ en la croix,
Qui veulent effacer l'eternelle memoire
De sa mort, par l'abus d'un nouveau purgatoire.

Perissent povrement les noms qui sont en art,
Caphard, Maillard, Ronsard, aussi bien que Minard,
Que Picard, que Brulard, & la trouppe bastarde
De Sorbonne qui est de la loy Billouarde.
Perisse de rechef le Pape & le Papat,
Et les bougres aucteurs du vilain celibat.
Que de rechef on voye un nouveau sac en Romme,
Jusqu'à tant qu'elle soit inhabitable à l'homme :
Que les loups seulement, comme dedans les bois,
Y facent retentir leur effroyable voix,
Pourveu que de rechef une autre louve Albaine
Ne recouve l'aucteur de la race Romaine.

Mais perisse devant ce grand tigre inhumain,
Ce monstre incestueus, perisse de la main
De quelque autre Meray, Meray l'honneur de France,
Meray qui a tiré la France de souffrance,
Qui estime son los bien plus que n'estimoit
Jadis Romme celuy de Fabe qui aimoit
Le salut du pays plus cher que les paroles,
Meray plus à louer cent fois que ces Scævoles.

Que pleust à Dieu qu'on vist renaistre de ses os
Quelque nouveau Meray pour ces autres supposts,
Ces superbes geants qui hurtent de leur teste
Le ciel & contre Dieu la cime de leur creste.

Et ainsi que l'aucteur du combat commencé,
D'un trait d'un double plomb fatalement poussé
A receu dignement la juste recompense
Que Ronsard demandoit contre son esperance :

Que l'infracteur de paix reçoive aussi des cieus
Une punition plus grande que mes vœus.
Que lon voye à la fin leurs puissances mattees,
Puis qu'ils despitent Dieu comme meschants Athees,
Et que tousjours encor' l'inevitable frein
De la forte Adrastee emporte leur dessein.

Vous ce pendant, Madame, à qui est la puissance
Comme mere du Roy, de reigler nostre France,
Destournez je vous pry' vostre cœur, & vos yeus
De ce pœte profane, homme seditieus,
Qui est vostre ennemy, & qui onc en sa vie
Ne parla bien de vous que pour une Abbaye.
Homme sans foy, sans loy, un contempteur de Dieu,
Qui nie son essence hardiment en tout lieu,
Remply d'impieté, tousjours en inconstance,
Qui ne sçait autre bien que celuy de sa pance.
Et tel homme remply de toute infection
Peut-il prescrire au Roy son institution ?
Reigler sa Majesté ? la meure adolescence
Du Roy doit corriger plustost sa remonstrance.

Madame, au nom de Dieu n'ayez aucun egard
Aus dous enchantements des escrits de Ronsard,
Qui sont pleins de poison : Madame, les paroles
Ce ne sont que du vent, ce sont choses frivoles :
Ainsi fait l'oyseleur, duquel le chalumeau
Chante fort doucement pour decevoir l'oyseau.

Qu'il porte son conseil aus Heliogabales,
Et ses enseignements pour des Sardanapales,
Non point à nostre Roy qui est desja majeur.
Croyez que telles gens ne vous font point d'honneur
Vous louant en leurs vers remplis de flateries,
Afin que receviez apres leurs menteries,
Car le los, ce dit-on, ne doit estre avoué,
S'il ne vient de quelcun digne d'estre loué,
D'estre loué de tous il n'est pas desirable,
Mesmes de quelques uns il est abominable,
Comme de luy qui n'a la louange, sinon
De ceus qui comme luy ont un mauvais renom.

Et qui souhaiteroit l'infame Busiride
(Mal renommé jadis, qui fut tué d'Alcide)
Pour en estre loué ? quand à moy j'ayme autant
Estre blasmé des bons, que loué des meschant.

Non, ce n'est pas a toy de parler des miseres
De nostre temps, Ronsard, va parler des brevieres,
Des bulles, des mandatz, & de tous les larcins
Que tu tiens aujourdhuy sans raison dans tes mains. (1300)

Certes il valloit mieus rechanter ta Cassandre,
Et remettre en papier les Pergames en cendre,
Remaschant le laurier, que mettre par escrit
Le discours de ce temps qui passe ton esprit.

Il valloit mieus encor' remonter sur la croppe
De Parnasse, & chanter les yeus de ta Sinope,
Qu'a l'instigation de quelque Cardinal
Te fonder si avant sur nostre gouvernal :
Et de prester ton nom pour estre mercenaire,
Car ce n'est pas a toy de reigler la misere,
C'est a un Chancellier qui corrige les loix :
Il est vray qu'on a veu qu'un Poete Charrolois [Guillaume des Autels]
En a bien fait autant, esmeu de l'avarice
Pour gaigner cent escus, mais encor sa malice
Est moindre que la tienne, a cause qu'il na pas
Tant de faveur que toy envers le peuple bas.
Et qu'il ne peut ainsi par son credit attraire
A mutination les ondes du vulgaire,
Encor que sa parolle ait bien plus de raison,
Et qu'il conduise mieus le fil d'un oraison :
Aussi on a cogneu depuis, sa repentance,
Car te laissant crier il se tient en silence.

Mais toutesfois encor il ne t'appartient pas
De parler des larcins, & des assasinats.
Toy vilain, toy meschant, toy remply d'imposture
Veus-tu blamer un fait amy de ta nature ?

Si la sedition aus Gracches desplaisoit
Qui n'en seroit fasché ? si Verres accusoit
Un larron comme luy ? qui est-ce qui endure
La superstition se joindre a Epicure ?
Qui voudroit endurer qu'un pauvre furieus
Fut blasmé d'Alcmœon, de Vulcan, un boiteus ?
Qu'un homme incestueus accusast Jocaste,
Et qu'Ibyque accusast un autre Pœderaste ?
Que Ronsard accusast le vice de Maillard,
Et Maillard accusast le vice de Ronsard ?

La tenebreuse nuit doit ceder a l'Aurore
Et l'homme qui est blanc se doit moquer du more,

Tu te peus bien moquer, puis que tu ne vaus rien,
De la vertu louable en un homme bien :
Car le mal t'est vertu, mais s'il y a du vice,
Ce n'est pas au meschant d'y mettre la police.

Certainement, Ronsard, si ceste grande nef
De la France n'eust eu d'autre que toy pour chef,
La tempeste eust gaigné, & les cordes humides
T'eussent fait aussi voir la maison des Phorcydes.

Mais las il nous prend bien de ce qu'en nostre mal,
Ronsard n'a pas esté le Tiphys Hamyral,

Argo n'eust pas passé les ondes Phasiades,
Ny les bouillants destroits des noires Symplegardes,
N'y la Grecque jeunesse eust conquis la toison
De la divine Paix pour leur maistre Jason.

Mais par le bon secours des jumeaux Dioscures,
Gouverneurs de la mer, les tristes avantures
Ne l'ont point accablee, & pource on voit encor
Que graces elle en rend a Pollux & Castor,
(Comme nous faisons tous) malgré ton inconstance
Qui les ayants louez comme astres de la France
Maintenant sans raison tu les as appelez
Barbares, insensez, tygres, ecervelez.

Mais tu leur fais plaisir, encores que l'on die
Que tu veus rechanter une Palinodie,
Car ton blasme, meschant, & ton aspre éguillon
Ne scauroit offenser l'honneur de Chastillon,
Qui est loué des bons, qui surmonte l'envie
Des meschants : Quand a moy, tant que la chaude vie
Me battera le corps, mon esprit & ma voix
Les chanteront tousjours protecteurs des François.

Cheres testes du ciel, rare honneur de la France
Vivez tousjours heureus, la corne d'Abondance
Et la faveur de Dieu, accompagne tousjours
Voz maisons, voz enfans, & la fin de voz jours.

Or desja mon navire approche du rivage,
Il faut que je commence a tirer le cordage.

Mais un seul point, Ronsard, me tient encor icy,
Car aussi bien que toy je suis en grand soucy
De parler de ta vie, & de tes vaillants gestes
Dont on pourroit escrire ausement des Digestes.
Puis donc que par tes vers t'es eternisé,
Il faut que par les miens tu sois canonisé,
Ce que j'ay fait, Ronsard, afin que l'on entende
Que tu merites bien d'avoir une Legende.

Car nous ne doutons point que quand la froide mort,
Aura pris dessus toy le tribut de son port,
Le Pape volontiers ne te mette en la bande
Des martys de son nom : on portera l'offrande
Alors sur ton autel, le pauvre verolé
Invoquera ton nom pour estre consolé
Te presentant souvent d'une main languissante
Du Gajac, du Galban, & de l'Asse puante
Et (ce qu'aucun des saints n'a jamais peu avoir)
Tu auras davantage un contraire pouvoir
A ton saint Mathelin, qui prenoit les chandelles
Que tu luy presentois aus festes annuelles.
Et tout ainsi qu'on dit qu'il a ceste vertu
De guerir la folie, & que l'homme battu
De telle maladie en reçoit allegeance
Apres estre foitté, tu auras la puissance
Pariellement aussi, que le fol ostiné
Qui aura tout le corps de ton saint mal miné, (1400)
T'offrira ces presents, afin que sa largesse
Luy serve de guerdon pour le mal de sagesse :
Jusqu'à tant que la mort d'un plus dangereus dard
Le guerisse du mal de Monsieur saint Ronsard.


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